Les chansons

Pour chaque chanson, j'ai joint un lien. J'ai veillé à diversifier les styles et les interprètes. N'hésitez pas à en chercher d'autres qui vous plaisent.

Les chants de ce recueil ont été écrits par des chansonniers vedettes, des paroliers, des syndicalistes, des journalistes, des écrivains, des propagandistes, des leaders politiques ou militaires, des militants anonymes.

Ils ont été diffusés en dépit de la censure par tous les moyens disponibles et chantés à l’occasion de concerts, fêtes, commémorations, manifestations, obsèques, défilés, veillées d’armes ; sous le soleil, les étoiles, la pluie, la neige, les confettis, les balles, les bombes ; derrière des banderoles, des drapeaux, des barricades, des barreaux, des barbelés ; face à la foule, aux forces de l'ordre, aux juges, à la guillotine, au peloton d’exécution...

Qu’ils soient réalistes, poétiques, tendres, sarcastiques, violents, drôles, tristes, nostalgiques, dramatiques, l’espoir d’un monde meilleur n’en est jamais totalement absent ; le combat pour la dignité et la liberté de chacun est une fin en soi et la défaite n’est que provisoire.

La chanson au XIXe siècle

Les goguettes : à l’origine, de petits groupes amicaux plutôt masculins, qui se réunissent pour passer un bon moment et chanter, les goguettes se sont multipliées au XIXeme siècle. Certaines deviennent, ce que l’on appellerait de nos jours des « ateliers d’écriture ». Chacun vient avec ses textes et les membres se critiquent entre eux.

Cette pratique existe partout en France, depuis la capitale jusqu’aux villages les plus reculés, et concerne tous les milieux sociaux (dans les milieux bourgeois, on parle de « sociétés chantantes »). Elle explique la grande diversité dans l’origine sociale des chansonniers.

Les goguettes sont officiellement interdites par Louis Napoléon Bonaparte, puis rétablies sous la troisième république.


Les cafés-concerts : leur développement est favorisé par l’interdiction des goguettes. Il s’agit à l’origine de débits de boisson organisant des concerts musicaux de façon plus ou moins régulière. Durant une bonne partie du XIXeme siècle, une autorisation préalable est nécessaire. Les prix étant bas, les cafés-concerts sont des lieux de mixité sociale – Ils sont souvent appelés cabarets.

L’importance des cafés-concerts diminue avec l’apparition du cinéma. Ils laissent place au music-hall. Les cabarets qui restent augmentent leurs prix et sont désormais réservés aux plus riches.


Les chanteurs et chanteuses de rue : le principal média de diffusion des chansons avant la radio et le microsillon. A l’issu de sa prestation, le chanteur vend souvent un format c’est à dire une feuille imprimée sur laquelle figurent les paroles et la partition de la chanson.


Les journaux : le site de la bibliothèque nationale recense 65 publications anarchistes entre 1872 et 1914. Les journaux classés anticléricaux sont au nombre de 153. Certaines publications ne sont parues que durant quelques mois, d’autres plusieurs années. De nombreuses chansons de ce recueil ont été publiées par ces médias.

Les socialistes font des émules chez les ouvriers typographes (c’était notamment la profession de Proudhon), et ont donc des moyens de publication. Les chansonniers les plus en vogue publient des recueils de leurs œuvres, parfois en petit nombre d’exemplaires.


Les chorales ouvrières (orphéons) : leur rôle est important dans la diffusion des chansons parmi la classe ouvrière. C’est la chorale de Lille qui met l’Internationale à son répertoire et la rend immensément populaire.


La censure : la question du contrôle des médias n’est pas nouvelle. La déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen affirme le principe de la liberté d’expression, cependant la censure des Etats ne s’assouplit que très lentement au cours du XXe siècle (en France, George Brassens incarne une évolution dans les années 1950).


A la fin du XIXe siècle, en France, les paroles des chansons doivent être validées par la préfecture avant diffusion ; le texte est parfois caviardé : on noircit les vers ou les couplets subversifs, que l’interprète a interdiction de prononcer. Lors des concerts et des récitals, des policiers en civil sont fréquemment mêlés au public pour lutter contre la prostitution clandestine, arrêter les contrevenants et repérer les séditieux.


Les auteurs ont toujours bravé ou contourné la censure, par des moyens divers : sous-entendus, détournement de symboles officiels pour en modifier le sens, diffusion des chansons dans des cadres privés, publications clandestines… Certaines chansons qui ne nous semblent pas osées, étaient en fait très subversives.


Plus d'infos:

sur la chanson révolutionnaire au XIXe siècle

sur la diffusion des chansons

Le Chant des ouvriers (1846)

Nous dont la lampe le matin,
Au clairon du coq se rallume,
Nous tous qu’un salaire incertain
Ramène avant l’aube à l’enclume
Nous qui des bras, des pieds, des mains,
De tout le corps luttons sans cesse,
Sans abriter nos lendemains
Contre le froid de la vieillesse.

Refrain
Aimons-nous et quand nous pouvons
Nous unir pour boire à la ronde,
Que le canon se taise ou gronde,
Buvons, buvons, buvons!
À l’indépendance du monde!

Nos bras sans relâche tendus,
Aux flots jaloux, au sol avare,
Ravissent leurs trésors perdus,
Ce qui nourrit et ce qui pare :
Perles, diamants et métaux,
Fruits du coteau, grains de la plaine ;
Pauvres moutons, quels bons manteaux
Il se tisse avec notre laine !

Quels fruits tirons-nous des labeurs
Qui courbent nos maigres échines?
Où vont les flots de nos sueurs?
Nous ne sommes que des machines.
Nos Babels montent jusqu’au ciel,
La terre nous doit ses merveilles
Dés qu’elles ont fini le miel,
Le maître chasse les abeilles.

Au fils chétif d'un étranger
Nos femmes tendent leurs mamelles,
Et lui plus tard croit déroger
En daignant s'asseoir auprès d'elles.
De nos jours, le droit du seigneur
Pèse sur nous plus despotique :
Nos filles vendent leur honneur
Aux derniers courtauds de boutique.

Mal vêtus, logés dans des trous,
Sous les combles, dans les décombres
Nous vivons avec les hiboux
Et les larrons amis des ombres;
Cependant notre sang vermeil
Coule impétueux dans nos veines
Nous nous plairions au grand soleil
Et sous les rameaux verts des chênes.

À chaque fois que par torrents
Notre sang coule sur le monde,
C’est toujours pour quelques tyrans
Que cette rosée est féconde;
Ménageons-le dorénavant
L’amour est plus fort que la guerre;
En attendant qu’un meilleur vent
Souffle du ciel ou de la terre.

On trouve certains des thèmes des chansons révolutionnaires postérieures : la misère des pauvres qui produisent les richesses en travaillant dur, mais n’en retirent que les miettes en temps de paix et doivent de surcroît faire la guerre au profit des puissants, en rêvant d’un monde meilleur. L’auteur y fait des allusions à la campagne, ce qu’on trouve rarement dans les chansons ultérieures. Sans doute bien des ouvriers regrettent la condition de paysan de leurs parents, très probablement idéalisée. De berger, l’homme est réduit à l’état de mouton – l’animalisation (on parlerait aujourd'hui de déshumanisation) des ouvriers est un thème courant dans les chansons. Par ailleurs, en France, la révolution industrielle n'en est qu'à ses début. Le pays reste essentiellement rural mais la vie des paysans n'en est pas moins dure. La condition des femmes du peuple, nourrices où objets sexuels à destination des puissants est dénoncée, ce qui est rare dans les textes de l’époque.

L’idée d’une révolte violente est absente du texte ; l’auteur en appelle à l’amour pour changer le monde, peut-être 'pour contourner la censure, peut-être parce qu'il y croit. Bon nombre de socialistes de l'époque ont un côté mystique et parfois religieux.

Pierre Dupont chante cette chanson durant les banquets républicains précurseurs de la révolution de 1848 (d'où le refrain à boire). Elle est mentionnée par Karl Marx.

Chanson en l'honneur des pavés (1948)

Eugéne Philippe
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Refrain
Ce sont des amis éprouvés,
Crions tous : "Vivent les pavés !" (x2)

Loin d'être dans les rétrogrades
Les pavés font distinction
C'est pour parer les barricades
Et c'est dans l'opposition

A leur fermeté, rendons grâce,
Ce sont eux qui nous ont sauvés :
Tous, contre une odieuse race,
Avec nous ils se sont levés.

Leur éloquence est de nature
A faire de l'impression,
Nos mouchards ont la tête dure,
Mais ils ont senti la raison.

Chacun saisit son interprète
Leurs solides raisonnements ;
On ne peut que baisser la tête
Devant de pareils arguments.

Et pourtant, l'odieuse foule
Les traite avec indignité,
Et chaque jour aux pieds on foule
Ces sauveurs de la liberté.

Se sont-ils, sous un nouveau règne,
Dans les antichambres pressés ?
Beaucoup, Sans qu'aucun d'eux s'en plaigne,
Ne sont pas encore replacés.

Bientôt, leur gloire répandue
Anima leurs nobles rivaux :
Partout la puissance absolue
Aura les pavés sur le dos

Et par eux, au loin affermie,
Liberté, tu ne laisseras
De refuge à la tyrannie
Qu'aux lieux où l'on ne pave pas.

Refrain


Jusqu’en mai 1968, les rues sont dépavées à chaque révolte sociale. Les pavés servent à la fois de matériaux pour l’édification des barricades et de projectiles contre les forces de l’ordre. A travers eux, c’est à la révolte populaire que la chanson rend un hommage humoristique.


La canaille (1865)


Dans la vieille cité française
Existe une race de fer,
Dont l’âme comme une fournaise
A de son feu bronzé la chair.
Tous ses fils naissent sur la paille,
Pour palais, ils n’ont qu’un taudis.
C’est la canaille !
Eh bien ! j’en suis !

Ce n’est pas le pilier du bagne ;
C’est l’honnête homme dont la main
Par la plume ou le marteau gagne,
En suant, son morceau de pain.
C’est le père, enfin, qui travaille
Les jours et quelquefois les nuits.
C’est la canaille ! etc.

C’est l’artiste, c’est le bohème
Qui, sans souper, rime rêveur
Un sonnet à celle qu’il aime,
Trompant l’estomac par le cœur.
C’est à crédit qu’il fait ripaille,
Qu’il loge et qu’il a des habits.
C’est la canaille ! etc.

C’est l’homme à la face terreuse,
Au corps maigre, à l’œil de hibou,
Au bras de fer à main nerveuse
Qui sortant d’on ne sait pas où,
Toujours avec esprit vous raille,
Se riant de votre mépris.
C’est la canaille ! Etc.

C’est l’enfant que la destinée
Force à rejeter ses haillons,
Quand sonne sa vingtième année,
Pour entrer dans nos bataillons.
Chair à canon de la bataille,
Toujours il succombe sans cris…
C’est la canaille ! etc.

Ils fredonnaient la Marseillaise,
Nos pères, les vieux vagabonds,
Attaquant en quatre-vingt-treize
Les bastilles dont les canons
Défendaient la vieille muraille !
Que de trembleurs ont dit depuis :
- « C’est la canaille ! » etc.

Les uns travaillent par la plume,
Le front dégarni de cheveux.
Les autres martèlent l’enclume,
Et se soûlent pour être heureux ;
Car la misère, en sa tenaille,
Fait saigner leurs flancs amaigris…
C’est la canaille ! etc.

Enfin, c’est une armée immense,
Vêtue en haillons, en sabots.
Mais qu’aujourd’hui la vieille France
Les appelle sous ses drapeaux,
On les verra dans la mitraille,
Ils feront dire aux ennemis :
C’est la canaille !
Eh bien ! j’en suis !

Bouvier s’adresse à la bourgeoisie, pas seulement du point de vue de la classe ouvrière mais de la classe populaire urbaine en général, y compris les intellectuels et les poètes. L’auteur s’honore de faire partie de la canaille, renversant l’insulte dont les pauvres font l’objet, un procédé littéraire que l’on retrouve dans plusieurs chansons, toujours utilisé dans les luttes sociales actuelles

Les femmes sont totalement absentes. L’alcoolisme est mentionné ; il fait des ravages chez les ouvriers et l’ivrognerie fait partie des raisons avancées par la presse bourgeoise pour justifier leur condition.

Un couplet fait référence à la révolution française, soulignant que la canaille était sur les champs de bataille, tandis que la bourgeoisie se planquait ; l’on retrouve le thème de la mobilisation pour la patrie, au profit des bourgeois trop lâches pour se battre.

On y voit poindre un nouveau thème, plus tard cher aux socialistes : les soldats ennemis fraterniseront avec les français.

Ce chant a été repris pendant la commune.

Bon, c'est un beau rêve.

Le temps des cerises (1866)

Quand nous en serons au temps des cerises
Et gai rossignol et merle moqueur
Seront tous en fête
Les belles auront la folie en tête
Et les amoureux du soleil au coeur
Quand nous chanterons le temps des cerises
Sifflera bien mieux le merle moqueur

Mais il est bien court le temps des cerises
Où l'on s'en va deux cueillir en rêvant
Des pendants d'oreilles
Cerises d'amour aux robes pareilles
Tombant sous la feuille en gouttes de sang
Mais il est bien court le temps des cerises
Pendants de corail qu'on cueille en rêvant

Quand vous en serez au temps des cerises
Si vous avez peur des chagrins d'amour
Évitez les belles
Moi qui ne crains pas les peines cruelles
Je ne vivrai pas sans souffrir un jour
Quand vous en serez au temps des cerises
Vous aurez aussi des chagrins d'amour

J'aimerai toujours le temps des cerises
C'est de ce temps-là que je garde au coeur
Une plaie ouverte
Et Dame Fortune, en m'étant offerte
Ne saura jamais calmer ma douleur
J'aimerai toujours le temps des cerises
Et le souvenir que je garde au coeur.

Cette chanson d’amour dont les paroles n’étaient pas politiques a été écrite durant un séjour de l'auteur en Belgique, où l'auteur avait du se réfugier pour des articles déplaisant à l'empereur. Clément a écrit de nombreuses chants engagées, mais également des chansons "pour un morceau de pain", selon ses propres termes. Cette chanson faisait partie de la seconde catégorie.

Elle n'a pas été chantée durant la Commune, mais la personnalité de son auteur, la nostalgie des jours heureux, la couleur rouge sang des cerises et le regret d’un amour d’une saison, ainsi sans doute le fait qu'il soit impossible de censurer les paroles en font un texte emblématique de la révolte tragique, reprise d’innombrables fois depuis, y compris par des artistes étrangers.

L’auteur dédie cette chanson en 1882 à Louise, une jeune ouvrière/infirmière de 20 ans, restée jusqu’au dernier moment auprès de lui, parmi les autres défenseurs de la dernière barricade, rue de la Fontaine au Roi, le 28 mai 1871 et qui refusait d'abandonner les blessés. Il ne l'a jamais revue.

Il termine sa longue dédicace par ces mots : "N'était-ce pas à cette héroïne obscure que je devais dédier la chanson la plus populaire de toutes celles que contient ce volume ?"

Femmes de la Commune

Paris pour un beefsteak (1870).

Vive la Paix ! La France est aux enchères ;
Demain, bourgeois, vous pourrez regoinfrer.

Bismarck attend au château de Ferrières
Que dans Paris, Thiers lui dise d’entrer.
Favre griffonne un dernier protocole,
Trochu renonce à son plan incompris…


Allons Brébant, tourne la casserole : Pour un beefsteak, on va vendre Paris (bis)

Que font à moi l’Alsace et la Lorraine ?
Dans ces pays, je n’ai ni champ ni bien.
Que le Prussien nous les laisse ou les prenne,
Je m’en bats l’œil, car je n’y perdrais rien.
Plus que Strasbourg, ma table m’intéresse :
Metz ne vaut pas une aile de perdrix ;


Et puis, tout ça fait bouder ma maîtresse… Pour un beefsteak, messieurs, rendons Paris (bis)

J’entends des fous parler de résistance,
De lutte à mort, de patrie et d’honneur !
Mon ventre seul exige une vengeance :
Sous le nombril j’ai descendu mon cœur.
Libre aux manants de rester patriotes,
Et de mourir sous les feux ennemis ;

Moi, j’aime mieux la sauce aux échalotes… Pour un beefsteak, messieurs, rendons Paris.

On dit encor que la France est mourante ;
Que l’étranger lui ronge les deux flancs ;
Et que partout, sous leur botte sanglante,
Comme des serfs, nous courbent les uhlans.
Pleure qui veut de cette scène amère,
Mais que la paix mette fin à ces cris !


La viande manque chez ma cuisinière… Pour un beefsteak, messieurs, rendons Paris.

Allons, c’est dit, bobonne, fais toilette ;
Au salon bleu remets des rideaux neufs.
Et toi, Manon, va battre l’omelette :
Grâce aux Prussiens, nous mangerons des œufs.
Je veux demain recevoir à ma table
Trois Bavarois, et je veux qu’on soit gris…


Vive la paix ! la Patrie est au diable ! Pour un beefsteak, on a rendu Paris.

Paul Brébant est un célèbre cuisinier et restaurateur. Le gris est la couleur des uniformes allemands.

Uhlans : cavalerie légère allemande.

Bismark est le ministre-président du royaume de Prusse. Favre est un homme politique français, maire du 17eme arrondissement. Républicain modéré, il quittera Paris au moment de l'a Commune. Le général Trochu devient président du gouvernement de défense nationale en septembre 1870. Il organise la défense de Paris et prétend poursuivre la guerre. Cependant, le gouvernement bourgeois se méfie de la population parisienne très agitée.

Durant l’hiver 1870, les prussiens assiègent Paris. Les riches dévorent tous les animaux du jardin des plantes, les pauvres mangent les rats et le cuir bouilli. La ville doit également subir les bombardements ennemis. La population, mobilisée, constitue une garde nationale qui renforce les troupes régulières et les parisiens se cotisent pour acheter des canons, disposés à Montmartre.

Lorsque le gouvernement de Thiers, la gauche, négocie la reddition française, ôtant ainsi toute justification aux souffrances de la capitale, les parisiens considèrent qu’il s’agit d’une trahison. C’est à cette décision politique que cette chanson satirique fait référence.

Le thème du peuple combattant et courageux contrastant avec la lâcheté de ses dirigeants qui se gavent est fréquent dans les chansons, mais cette féroce satire n’appelle pas à la révolte, contrairement à la chanson "Bonhomme" du même auteur.

Bonhomme (1871)

Bonhomme, ne sens-tu pas
Qu’il est temps que tu te réveilles,
Lonlaire,
Bonhomme, ne sens-tu pas
Qu’il est temps que tu te réveilles ?
Lonla ?
Voilà vingt ans que tu sommeilles,
Voilà vingt ans qu’à tes oreilles
La Liberté pleure et gémit.
Bonhomme,
Bonhomme,
Lève-toi, le jour luit.

Refrain
Vive la République Lonlaire, Vive la République, Lonla (bis)


Bonhomme, n’écoute pas
Ces tribuns que les sots admirent,
Lonlaire,
Bonhomme, n’écoute pas
Ces tribuns que les sots admirent,
Lonla !
C’est contre toi seul qu’ils conspirent,
Ce sont ceux-là qui te trahirent
En juin quand tu te levas.
Bonhomme,
Bonhomme,
Garde-toi des Judas.


Bonhomme, ne sais-tu pas
Qu’à toi seul appartient la terre,
Lonlaire,
Bonhomme, ne sais-tu pas
Qu’à toi seul appartient la terre,
Lonla !
Sans être écrits chez le notaire,
Tous tes droits, humble prolétaire,
Sont au contrat d’égalité !

Bonhomme,
Bonhomme,
Guerre à qui t’a volé !

Bonhomme, ne sens-tu pas
Qu’à tes bras on a mis des chaînes !
Lonlaire
Bonhomme, ne sens-tu pas
Qu’à tes bras on a mis des chaînes !
Lonla !
Jadis de tes mains souveraines,
De tes épaules plébéiennes,
Tu jetas la Bastille en bas!
Bonhomme,
Bonhomme,
Qu’as—tu fait de tes bras ?

Bonhomme, n’entends-tu pas
Le voisin railler ta misère !
Lonlaire,
Bonhomme, n’entends-tu pas
Le voisin railler ta misère!
Lonla !
Il dit que ton sang dégénère,
Ton âme, autrefois si fière,
S’affaisse aujourd’hui dans la peur!
Bonhomme,
Bonhomme,
Qu’as-tu fait de ton cœur ?

Bonhomme, n’entends-tu pas
Un refrain de chanson française,
Lonlaire,
Bonhomme, n’entends-tu pas
Un refrain de chanson française,
Lonla !
C’est celui de la Marseillaise,
Celui qui fit quatre-vingt-treize!
A ce chant-là laisse l’outil.
Bonhomme,
Bonhomme,
Va chercher ton fusil!.

Refrain ultérieur (plus souvent chanté) : Et vive la Commune Bon Dieu et vive la Commune (bis)
On ne chante pas les lonlaires et les lonlas des couplets

Les vingt ans de gémissements à l’oreille de Bonhomme correspondent à la durée du Second Empire, au cours duquel les libertés politiques ont été considérablement réduites.

Le second couplet évoque les fusillades de juin 1848, lorsque le gouvernement de la seconde république a fait tirer sur le peuple. L’ennemi désigné est donc le bourgeois, qu’il soit de droite ou de gauche, qui fait de beaux discours, mais trahit le peuple.

La chanson évoque ensuite la révolte contre les possédants et la légitime redistribution des terres. La collectivisation n’est pas évoquée.

La révolte est nécessaire fut-ce en utilisant la force, pour mettre fin aux injustices sociales, dans l’esprit et conformément aux idéaux de la révolution française considérée comme inachevée par Auguste Blanqui et une bonne partie des communards (1793 voit l’avènement de la 1ere république).

Louise Michel écrit :

« La foule chante la Marseillaise. Mais l’Empire l’a profanée ; nous, les révoltés, nous ne la disons plus. La chanson du Bonhomme passe coupant l’air avec ses refrains vibrants : Bonhomme, bonhomme, aiguise bien ta faux ! »

La danse des bombes (1871)


Oui barbare je suis
Oui j'aime le canon
La mitraille dans l'air
Amis, amis, dansons.

La danse des bombes
Garde à vous ! Voici les lions !
Le tonnerre de la bataille gronde sur nous
Amis chantons, amis dansons
La danse des bombes
Garde à vous ! Voici les lions !
Le tonnerre de la bataille gronde sur nous
Amis chantons !

L'acre odeur de la poudre
qui se mêle à l'encens.
Ma voix frappant la voûte
et l'orgue qui perd ses temps.

La nuit est écarlate.
Trempez-y vos drapeaux
Aux enfants de Montmartre,
la victoire ou le tombeau !
Aux enfants de Montmartre,
la victoire ou le tombeau !

Oui barbare je suis,
Oui j'aime le canon,
Oui, mon cœur je le jette
à la révolution !

Les paroles auraient été écrites dans une église durant les bombardements. L’autrice reprend à son compte les qualificatifs de la presse versaillaise, vis à vis des communards (barbares) et plus particulièrement des communardes (les « pétroleuses », qui mettent le feu à la ville et qui n'ont probablement jamais existé).

La chanson évoque la violence des combats et des bombardements. La nuit écarlate fait référence aux incendies qui font rage dans Paris, le gouvernement français faisant usage de bombes incendiaires (ce que les Prussiens n’avaient pas fait), tandis que des communards mettent le feu pour ralentir l’avancée de l’armée versaillaise qui elle-même allume des incendies pour déloger les combattants des immeubles. Les enfants de Montmartre sont les communards (la commune a été proclamée suite à la tentative du gouvernement de s'emparer des canons de la butte Montmartre).


Louise Michel en uniforme de la garde nationale

Quand viendra-t-elle ? (1870)


J'attends une belle,

Une belle enfant,

J'appelle, j'appelle,

J'en parle au passant.

Ah! je l'attends, je l'attends !

L'attendrai-je encor longtemps ?


J'appelle, j'appelle,

J'en parle au passant.

Que suis-je sans elle ?

Un agonisant.

Ah! je l'attends, je l'attends !

L'attendrai-je encor longtemps ?


Que suis-je sans elle ?

Un agonisant.

Je vais sans semelle,

Sans rien sous la dent..

Ah! je l'attends, je l'attends !

L'attendrai-je encor longtemps ?


Je vais sans semelle,

Sans rien sous la dent

Transi quand il gèle,

Sans gîte souvent.

Ah! je l'attends, je l'attends !

L'attendrai-je encor longtemps ?


Transi quand il gèle,

Sans gîte souvent,

J'ai dans la cervelle

Des mots et du vent..

Ah! je l'attends, je l'attends !

L'attendrai-je encor longtemps ?


J'ai dans la cervelle

Des mots et du vent.

Bétail on m'attelle

Esclave on me vend.

Ah! je l'attends, je l'attends!

L'attendrai-je encor longtemps?

Bétail, on m'attelle.

Esclave, on me vend.

La guerre est cruelle,

L'usurier pressant.

Ah! je l'attends, je l'attends!

L'attendrai-je encor longtemps?

La guerre est cruelle,

L'usurier pressant.

L'un suce ma moelle,

L'autre boit mon sang.

Ah! je l'attends, je l'attends!

L'attendrai-je encor longtemps ?

L'un suce ma moelle,

L'autre boit mon sang.

Ma misère est telle

Que j'en suis méchant.

Ah je l'attends, je l'attends!

L'attendrai-je encor longtemps ?

Ma misère est telle

Que j'en suis méchant.

Ah! viens donc, la belle

Guérir ton amant!

Ah! je l'attends, je l'attends!

L'attendrai-je encore longtemps ?

L’objet de l’attente de l’auteur n’est pas défini. L’on comprend cependant qu’il s’agit de la fin de ses misères, longuement décrites : un travail épuisant, le froid, la faim, le harcèlement par les créanciers, la guerre. La belle enfant attendue est donc la République Rouge la République Sociale, où la Sociale.

Le texte se termine sur la déchéance morale qu’entraînent ces conditions de vie. La presse bourgeoise versaillaise justifie quant à elle l’éradication la Commune, par l’immoralité fondamentale de la population ouvrière, qui a la folie et l’indécence de prétendre se gouverner elle-même.

Les internationalistes considèrent que la bourgeoisie capitaliste dominante est responsable des problèmes sociaux, y compris de la délinquance, au moins en partie. Cette vision est plus ou moins partagée par la gauche parlementaire. On trouvera cette idée dans bon nombre de chansons ultérieures.

La violence est absente du texte. Dans les premières semaines de la Commune, de nombreux communards pensent qu’une négociation est possible, si le rapport de force est suffisant.

La semaine sanglante (1871)

Sauf des mouchards et des gendarmes,
On ne voit plus par les chemins,
Que des vieillards tristes en larmes,
Des veuves et des orphelins.
Paris suinte la misère,
Les heureux mêmes sont tremblant.
La mode est aux conseils de guerre,
Et les pavés sont tous sanglants.


Refrain :
Oui mais!
Ça branle dans le manche,
Les mauvais jours finiront.
Et gare! à la revanche,
Quand tous les pauvres s'y mettront.
Quand tous les pauvres s'y mettront.


Les journaux de l'ex-préfecture,
Les flibustiers, les gens tarés,
Les parvenus par aventure,
Les complaisants, les décorés
Gens de Bourse et de coin de rues,
Amants de filles au rebut,
Grouillent comme un tas de verrues,
Sur les cadavres des vaincus.

On traque, on enchaîne, on fusille
Tout ceux qu'on ramasse au hasard.

La mère à côté de sa fille,
L'enfant dans les bras du vieillard.
Les châtiments du drapeau rouge
Sont remplacés par la terreur
De tous les chenapans de bouges,
Valets de rois et d'empereurs.

Nous voilà rendus aux jésuites
Aux Mac-Mahon, aux Dupanloup.
Il va pleuvoir des eaux bénites,
Les troncs vont faire un argent fou.

Dès demain, en réjouissance
Et Saint Eustache et l'Opéra
Vont se refaire concurrence,
Et le bagne se peuplera.




Demain les manons, les lorettes

Refleuriront sur les trottoirs
Et les dames des beaux faubourgs
Porteront sur leurs collerettes
Des chassepots et des tambours
On mettra tout au tricolore,
Les plats du jour et les rubans,

Pendant que le héros Pandore
Fera fusiller nos enfants.

Demain les gens de la police
Refleuriront sur le trottoir,
Fiers de leurs états de service,
Et le pistolet en sautoir.
Sans pain, sans travail et sans armes,
Nous allons être gouvernés
Par des mouchards et des gendarmes,
Des sabre-peuple et des curés.


Le peuple au collier de misère
Sera-t-il donc toujours rivé?
Jusque à quand les gens de guerre
Tiendront-ils le haut du pavé ?
Jusques à quand la Sainte Clique
Nous croira-t-elle un vil bétail ?
À quand enfin la République
De la Justice et du Travail.

Le général Mac-Mahon proclame à la fin de la semaine sanglante : « Habitants de Paris, l'armée de la France est venue vous sauver (...) Aujourd'hui la lutte est terminée ; l'ordre, le travail et la sécurité vont renaître. » . Dupanloup est un prêtre célèbre pour ses prêches enflammés.

Le chassepot est le fusil de l’armée française. Un pandore désigne un policier, depuis que Nadeau, chansonnier célèbre a écrit une chanson dans laquelle son personnage, un gendarme obéissant et stupide porte ce nom.

Une Manon est une femme du peuple, une Lorette, une prostituée qui se fait entretenir par un ou plusieurs amants bourgeois. Paris est considéré à cette époque comme le bordel de l'Europe. Les socialistes perçoivent la prostitution comme une forme d'exploitation particulièrement odieuse, liée à la misère. Pendant la commune, les bourgeois ayant quitté la ville, les affaires ne marchent plus.

Parmi les ennemis du peuple, le clergé vient en bonne place, ce qui n'est pas le cas dans les chansons antérieures.

Il est question des mouchards ; pour les deux millions d’habitants que comptait Paris à l’époque, on compte 400.000 dénonciations de communards.

La haine de classe est à son comble. Le peuple a été fusillé au tas, il subit l’humiliation des vaincu et est placé sous étroite surveillance. Il se sent plus que jamais considéré comme du bétail. Un élément nouveau apparaît : l’anticléricalisme. La religion est désormais perçue par les Internationalistes comme une pièce essentielle du système bourgeois capitaliste.

La semaine sanglante fait entre 10.000 et 35.000 morts parmi les révoltés, en 5 jours seulement.

La chanson cartonne encore dans les zads du XXIe siècle

L’internationale (1871)

Debout, les damnés de la terre
Debout, les forçats de la faim
La raison tonne en son cratère,
C'est l'éruption de la faim.
Du passé faisons table rase,
Foule esclave, debout, debout
Le monde va changer de base,
Nous ne sommes rien, soyons tout.

Refrain (répété deux fois)
C'est la lutte finale ;
Groupons nous et demain
L'Internationale
Sera le genre humain.

Il n'est pas de sauveur suprême
Ni Dieu, ni César, ni Tribun,
Producteurs, sauvons-nous nous-mêmes
Décrétons le salut commun.
Pour que le voleur rende gorge,
Pour tirer l'esprit du cachot,
Soufflons nous-mêmes notre forge,
Battons le fer tant qu'il est chaud.

L'État opprime et la Loi triche,
L'impôt saigne le malheureux ;
Nul devoir ne s'impose au riche ;
Le droit du pauvre est un mot creux
C'est assez languir en tutelle,
L'Égalité veut d'autres lois ;
"Pas de droits sans devoirs, dit-elle
Égaux pas de devoirs sans droits."

Hideux dans leur apothéose,
Les rois de la mine et du rail
Ont-ils jamais fait autre chose
Que dévaliser le travail ?
Dans les coffres-forts de la banque
Ce qu'il a créé s'est fondu,
En décrétant qu'on le lui rende,
Le peuple ne veut que son dû.

Les rois nous saoulaient de fumée,
Paix entre nous, guerre aux Tyrans
Appliquons la grève aux armées,
Crosse en l'air et rompons les rangs !
S'ils s'obstinent ces cannibales
A faire de nous des héros,
Ils sauront bientôt que nos balles
Sont pour nos propres généraux.

Ouvriers, paysans, nous sommes
Le grand parti des travailleurs,
La terre n'appartient qu'aux hommes,
L'oisif ira loger ailleurs.
Combien de nos chairs se repaissent !
Mais si les corbeaux, les vautours,

Un de ces matins disparaissent,
Le soleil brillera toujours.

C’est depuis sa cachette parisienne que Pottier écrit cette chanson, durant la semaine sanglante. Le ton a nettement changé : le peuple crie vengeance. La lutte de classes qui n’est pas de son fait est devenue une guerre.

L’appel à l’Internationale ouvrière pour remporter la lutte de classe va de soi pour bon nombre de militants ; la Commune de Paris comptait sur l’appui d’un soulèvement général des villes de France, mais seules Lyon et Marseille sont entrées en lutte et trop faiblement pour constituer un soutien significatif. L’insurrection, considère-t-on alors, devrait absolument être générale, car la lutte serait à mort comme l’expérience le prouvait.

L’armée est appelée à soutenir le peuple, les ennemis désignés étant les généraux, ce qui fait référence à la journée du 18 mars 1871, lorsque les soldats du 88eme régiment d’infanterie refusent de tirer sur la foule venue les empêcher de reprendre les canons de la butte Montmartre et abattent leur général, déclenchant l’insurrection.

La chanson est, lors de sa publication dédiée à Gustave Lefrançais, un anarchiste signataire du pacte de Saint Imier.

Un an après la mort de son auteur, la chorale ouvrière de Lille la met à son répertoire, commandant une musique à Pierre Degeyter, ouvrier tourneur et musicien. La chanson connait un succès immédiat. Elle est très rapidement traduite en Allemand puis en d'autres langues. Elle est chantée lors des obsèques de Louise Michel et devient officiellement l’hymne de l’Internationale Communiste, après son adoption par Lénine en 1917, en hommage à la commune de Paris, que le révolutionnaire tout comme Marx considérait comme un événement fondateur, quoique non socialiste. Elle est la chanson française la plus chantée au monde, traduite en plus de 120 langues.

Caricature d'une communarde (presse versaillaire)

L e Capitaine "Au mur" (1872)


Refrain :

"Au mur" disait le capitaine

La bouche pleine et buvant dur

"Au mur"

Qu'avez-vous fait ?


Je suis des vôtres

Je suis vicaire à Saint Bernard

J'ai dû pour échapper aux autres

Rester huit jours dans un placard

Qu'avez vous fait ?

Oh! Pas grand chose

De la misère et des enfants

Il est temps que je me repose

J'ai soixante dix ans

Allons-y tout de suite

Et fusillez-moi vite


Voici la liste

Avec les noms de cent coquins

Femmes et enfants de communistes

Fusillez-moi tous ces gredins.

Qu'avez-vous fait ?

Je suis la veuve d'un officier

Mort au Bourget

Et tenez en voici la preuve

Regardez s'il vous plaît.

Oh! Moi je porte encore

Mon brassard tricolore

Jean Baptiste Clément a trouvé refuge en Angleterre où il écrit cette chanson qui évoque l’inhumanité et l’arbitraire des exécutions sommaires de la semaine sanglante. Le capitaine est totalement dénué d’empathie : il se nomme « Au Mur » et picole. Il semble que la chanson n’exagère pas, puisque la répression a fait entre 8.000 et 35.000 victimes, selon les historiens. Ceux qui optent pour un nombre de victimes inférieur à 30.000, considèrent qu'il est impossible avec les moyens de l'époque de tuer autant d'êtres humains en aussi peu de temps. Il est donc avéré que le gouvernement versaillais a tué autant de gens qu'il était en son pouvoir. Le mur en question est celui des fusillés du Père Lachaise où ont eu lieu les ultimes combats. Le chassepot est le fusil de l’armée française. L’auteur évoque les dénonciations et termine sur un combattant héroïque qui montre son cul au bourreau et assume ses actes. Le message est clair : aucune répression, si atroce soit-elle n’anéantira la révolte.

Quatre blessures

Six campagnes et deux congés

Je leur en ai fait voir de dures

Je suis Lorrain, ils sont vengés

Moi, j'étais dans une ambulance

Les femmes ne se battent pas

Et j'ai soigné sans différence

Fédérés et soldats

Moi, je m'appelle Auguste

Et j'ai treize ans tout juste

Oh! Je suis mort

Un soldat sans doute enivré

A tué mon père à la porte

Et mon crime est d'avoir pleuré

Qu'avez-vous fait ?

Sale charogne

Fais moi vite trouer la peau

Car j'en ai fait de la besogne

Avec mon chassepot

Et d'un, tu vois ma lune

Et deux, vive la commune !

C'est toujours comme ça, mais on continue à s'en étonner et à prétendre éradiquer les mouvements protestataires par la répression violente.

Jean Misère (1873)

Décharné, de haillons vêtu
Fou de fièvre, au coin d’un impasse,
Jean Misère s’est abattu.
« Douleur, dit-il, n’es-tu pas lasse ? »

Refrain :

Ah ! mais…
Ça ne finira donc jamais ?…

Pas un astre et pas un ami !
La place est déserte et perdue.
S’il faisait sec, j’aurais dormi,
Il pleut de la neige fondue.
Ah ! mais…
Ça ne finira donc jamais ?…

Est-ce la fin, mon vieux pavé ?
Tu vois : ni gîte, ni pitance,
Ah ! la poche au fiel a crevé ;
Je voudrais vomir l’existence.
Ah ! mais…
Ça ne finira donc jamais ?…


Je fus bon ouvrier tailleur.
Vieux, que suis-je ? une loque immonde.
C’est l’histoire du travailleur,
Depuis que notre monde est monde.
Ah ! mais…
Ça ne finira donc jamais ?…

Maigre salaire et nul repos,
Il faut qu’on s’y fasse ou qu’on crève,
Bonnets carrés et chassepots
Ne se mettent jamais en grève.
Ah ! mais…
Ça ne finira donc jamais ?…

Malheur ! ils nous font la leçon,
Ils prêchent l’ordre et la famille ;
Leur guerre a tué mon garçon,
Leur luxe a débauché ma fille !
Ah ! mais…
Ça ne finira donc jamais ?


De ces détrousseurs inhumains,
L’Église bénit les sacoches ;
Et leur bon Dieu nous tient les mains
Pendant qu’on fouille dans nos poches.
Ah ! mais…
Ça ne finira donc jamais ?…

Un jour, le Ciel s’est éclairé,
Le soleil a lui dans mon bouge ;
J’ai pris l’arme d’un fédéré
Et j’ai suivi le drapeau rouge.
Ah ! Mais… Ça ne finira donc jamais ?…

Mais, par mille on nous coucha bas ;
C’était sinistre au clair de lune ;
Quand on m’a retiré du tas,
J’ai crié : Vive la Commune !
Ah ! mais…
Ça ne finira donc jamais ?…

Adieu, martyrs de Satory,
Adieu, nos châteaux en Espagne !
Ah ! mourons !… ce monde est pourri ;
On en sort comme on sort d’un bagne.
Ah ! mais…
Ça ne finira donc jamais ?…

À la morgue on coucha son corps,
Et tous les jours, dalles de pierre,
Vous étalez de nouveaux morts :
Les Otages de la misère !
Ah ! mais…
Ça ne finira donc jamais ?….

Satory un quartier de Versailles, était le lieu de réclusion des communards après la semaine sanglante ; des centaines de personnes y sont mortes de manque du typhus et de manque de soins.

Le bonnet carré est celui des juges, le chassepot est le fusil de l'armée française.

Pottier ne commémore pas seulement les victimes de la semaine sanglante mais également les captifs morts en prison.

Il rappelle la condition misérable des ouvriers, cause de la révolte. On n’est plus dans la colère de l’internationale, mais dans la mémoire du martyre. La chanson est datée de 1873. L'auteur est à ce moment en exil aux Etats Unis ou il poursuit son action militante. Il a passé 50 ans, les temps sont durs. Ressent il déjà les premières atteintes de la paralysie qui allait le réduire définitivement à la misère dans laquelle est plongé son personnage ?

L e drapeau rouge (1877)

Les révoltés du Moyen-Âge
L’ont arboré sur maints beffrois.
Emblème éclatant du courage,
Toujours il fit pâlir les rois.

Refrain
Le voilà !, Le voilà ! Regardez !
Il flotte et fièrement il bouge,
Ses longs plis au combat préparés,
Osez, osez le défier !
Notre superbe drapeau rouge !
Rouge du sang de l’ouvrier ! (bis)

Il apparut dans le désordre
Parmi les cadavres épars,
Contre nous, le parti de l'Ordre
Le brandissait au Champ de Mars

Puis planté sur les barricades,
Par le peuple de février
Il devint pour les camarades,
Le drapeau du peuple ouvrier.

Quand la deuxième République
Condamna ses fils à la faim,
Il fut de la lutte tragique,
Le drapeau rouge de juin !

L’auteur fait remonter le drapeau rouge aux révoltes urbaines du Moyen-Age. Historiquement, il s’agit d’une affirmation sans fondement. En revanche, l’emblème est utilisé dès 1768 à Londres, lors d’une grève des marins qui avaient hissé des pavillons rouges sur leurs bateaux. En 1797, il est de nouveau mentionné lors d’une grande mutinerie dans la Royal Navy.

En 1791, il est arboré par la répression gouvernementale lors de la fusillade du Champ de Mars. Le second couplet fait référence à cet épisode de la révolution française. C’est par provocation qu’il sera dès le lendemain arboré par les émeutiers. Il signifie : tirez si vous l’osez, vous ne nous faites pas peur.

En 1831, deux drapeaux rouges (teints dans du sang de veau) sont arborés lors d’une révolte ouvrière dans le Pays de Galles, mais comme le précise le troisième couplet, c'est en 1848 qu'il s'impose définitivement, le mouvement ouvrier ne pouvant plus se reconnaître dans le drapeau tricolore. L'influence de la France sur l’Internationale Ouvrière, conduit cette dernière à l'adopter, comme mentionné dans les couplets finaux.

Le couplet sur les marins russe est postérieur, il évoque le cuirassé Potemkine en 1905.

Paul Brousse crée un genre : des chansons sur le thème du drapeau rouge existent dans de nombreuses langues. L'air est tiré d'une marche régionale Suisse. Le Jura Suisse est en effet un lieu refuge pour les internationalistes antiautoritaires et le mouvement y est particulièrement implanté.

La chanson est une chanson de propagande visant à renforcer des symboles et à diffuser une culture de la lutte ouvrière révolutionnaire. Louise Michel inventera plus tard le drapeau noir et déclarera au tribunal : "il signifie que notre manifestation était pacifique. Notre drapeau rouge est cloué au mur du Père Lachaise, lorsque nous l'arborerons, soyez sûr que nous saurons nous défendre."

Sous la Commune il flotte encore
À la tête des bataillons
Et chaque barricade arbore
Ses longs plis taillés en haillons !

Noble étendard du prolétaire,
Des opprimés sois l’éclaireur.
À tous les peuples de la terre
Porte la paix et le bonheur !

Les braves marins de Russie,
Contre le tsarisme en fureur,
Ont fait flotter jusqu’en Asie
Notre drapeau libérateur !

Un jour sa flamme triomphale
Luira sur un monde meilleur,
Déjà l’Internationale
Acclame sa rouge couleur !.

Elle n’est pas morte (1886)

On l’a tuée à coups de Chassepot
A coups de mitrailleuse
Et roulée avec son drapeau
Dans la terre argileuse
Et la tourbe des bourreaux gras
Se croyait la plus forte

Refrain
Tout ça n’empêche pas, Nicolas,
Qu’ la Commune n’est pas morte!


Comme faucheurs rasant un pré
Comme on abat des pommes
Les Versaillais ont massacré
Pour le moins cent mille hommes
Et les cent mille assassinats
Voyez ce que ça rapporte

On a bien fusillé Varlin,
Flourens, Duval, Millière,
Ferré, Rigault, Tony Moilin,
Gavé le cimetière.
On croyait lui couper les bras
Et lui vider l’aorte

Ils ont fait acte de bandits
Comptant sur le silence
Achevé les blessés dans leur lit
Dans leur lit d’ambulance
Et le sang inondant les draps
Ruisselait sous la porte

En 1880, les communards sont amnistiés. Déportés et exilés rentrent en France. Ils reprennent leurs activités militantes et fondent en 1882 un groupe « possibiliste », puis en 1883 le parti ouvrier socialiste révolutionnaire, puis en 1888 un groupe d’entraide sociale auquel adhérent des socialistes de toutes tendances. L’air est celui d’une autre chanson : « t’en fais pas Nicolas »

La terre argileuse, la tourbe des bourreaux gras sont des références aux fosses communes de la semaine sanglante. Le chassepot est le fusil de l'armée française.

Varlin était un internationaliste, syndicaliste, délégué de la commune. Arrêté, il est torturé, tabassé et mutilé par les soldats et la foule. Devant le peloton d’exécution, un œil pendant de son orbite, il crie « vive la Commune »

Flourens, universitaire et militaire, commande la désastreuse sortie du 3 avril. Tué d’un coup de sabre alors qu’il est désarmé. Il est le premier mort parmi les délégués.

Duval se rend le même 3 avril avec promesse de la vie sauve pour lui et ses hommes, il est fusillé le lendemain sans jugement.

Millière, député de gauche est le seul parlementaire à rester dans Paris durant la Commune, sans cependant prendre part aux événements. Il est pourtant fusillé comme traitre, forcé de s'agenouiller "pour demander pardon". Il meurt en criant « vive la République, vive l’Humanité ».

Ferré est un militant blanquiste. Délégué de la Commune, il vote l’exécution des otages. Il est condamné à mort en septembre et fusillé.

Rigault est un internationaliste dont les déclarations très virulentes lui valent une haine terrible de la part des Versaillais. Durant la semaine sanglante, il répond au sergent qui l’arrête : « Que me voulez-vous ? Vive la Commune ». Il est fusillé sans jugement.

Moilin prend part à la Commune en tant que chirurgien militaire. Dénoncé et arrêté le 27 mai, il est condamné le jour même par une cour martiale.

Maxime Du Camp, écrivain et journaliste publie une histoire de la commune orientée contre les communards, sous le titre « les convulsions de Paris ».

Alexandre Dumas fils écrit entre-autres à propos des communard(e)s: « Nous ne dirons rien de leurs femelles par respect pour toutes les femmes à qui elles ressemblent quand elles sont mortes. »

« Marianne a la peau brune », signifie qu’elle est une femme du peuple, qui travaille à l’extérieur.

Les funérailles sont d’excellentes occasions de contourner l’interdiction des manifestations internationalistes. Valles, un des plus importants leaders communards, directeur du journal "le cri du peuple", a pu rentrer en France après l’amnistie. Il meurt en 1885 ; cent mille personnes assistent à son enterrement. Des échauffourées éclatent avec les royalistes.

La chanson appelle à poursuivre une révolte qu'aucune répression ne pourra éteindre et rappelle à la bourgeoisie que la menace est toujours présente.

Les journalistes policiers
Marchands de calomnies
Ont répandu sur nos charniers
Leurs flots d’ignominie
Les Maxime Ducamp, les Dumas
Ont vomi leur eau-forte

C’est la hache de Damoclès
Qui plane sur leurs têtes
A l’enterrement de Vallès
Ils en étaient tout bêtes
Fait est qu’on était un fier tas
A lui servir d’escorte

Refrain
C’qui prouve en tous cas, Nicolas,
Qu’ la Commune n’est pas morte!


Bref, tout ça prouve au combattant
Qu’ Marianne a la peau brune
Du chien dans l’ventre et qu’il est temps
D’crier "Vive la Commune!"
Et ça prouve à tous les Judas
Qu’ si ça marche de la sorte

Refrain
Ils sentiront dans peu, nom de Dieu,
Qu’la Commune n’est pas morte!


Fille d’ouvriers (1887)



Pâle ou vermeille, brune ou blonde,
Bébé mignon,
Dans les larmes ça vient au monde :
Chair à guignon !
Ébouriffé, suçant son pouce,
Jamais lavé,

Comme un vrai champignon ça pousse :
Chair à pavé !

A quinze ans, ça rentre à l'usine,
Sans éventail,
Du matin au soir ça turbine :
Chair à travail !
Fleur des fortifs, ça s'étiole,
Quand c'est girond,
Dans un guet-apens, ça se viole :
Chair à patron !

Jusque dans la moelle pourrie,
Rien sous la dent,
Alors, ça rentre "en brasserie" :
Chair à client !
Ça tombe encore,de chute en chute,
Honteuse, un soir,
Pour un franc, ça fait la culbute :
Chair à trottoir !

Les fortifs sont les fortifications de Paris, progressivement détruites, autour desquelles s’étendent les quartiers ouvriers.

Les brasseries sont des lieux de prostitution.

Roussin : policier dans l’argot de l’époque.

Héliogabale est un personnage de l’antiquité romaine. Il représente ici, le cynisme et l’absence de principes moraux de la classe dominante.

Macquart est le nom d’un établissement d’équarrissage pour les chevaux.

Le mal lent dont souffre le personnage est la syphilis, qui fait des ravages.

Très peu de chansons de l’époque évoquent spécifiquement la condition féminine.

Dans les chansons réalistes très en vogue à l'époque, les personnages, souvent misérables sont généralement nommés, ce qui n'est pas le cas ici. Elle n'est qu'un morceau de viande. L’identification des pauvres à de la viande n'est pas un thème nouveau, mais Jouy en fait l’élément central de sa chanson, ce qui la rend particulièrement cruelle.

La jeune femme dégringole les échelons de la prostitution qui était une véritable institution dans le Paris de l'époque. La "ville lumière" était considérée comme le "bordel de l'Europe" et l'on venait y faire du tourisme sexuel. Il y avait des catégories de prostituées pour toutes les bourses, si j'ose dire. Certaines, courtisanes entretenues par de riches bourgeois se faisaient offrir des hôtels particuliers et de nombreuses jeunes filles de condition ouvrière se laissaient tenter par des promesses de vie meilleure, mais dans la chanson, si les conditions de vie de l'enfant créent le terreau de la déchéance c'est bien le viol patronal qui la précipite.

Rarement la déchéance physique et morale entraînée par la misère ouvrière du 19eme siècle, n’est décrite avec autant de brutalité. On retrouve au dernier couplet le désir de vengeance, la haine des bourgeois dont les cadavres sont laissés aux chiens.

Ça vieilli, et plus bas ça glisse...
Un beau matin,
Ça va s'inscrire à la police :
Chair à roussin !
Ou bien, "sans carte", ça travaille
Dans sa maison,
Alors, ça se fout sur la paille :
Chair à prison !

D'un mal lent souffrant le supplice,
Vieux et tremblant,

Ça va geindre dans un hospice :
Chair à savant !
Enfin, ayant vidé la coupe.
Bu tout le fiel,
Quand c'est crevé, ça se découpe :
Chair à scalpel !

Patrons! Tas d'Héliogabales,
D'effroi saisis
Quand vous tomberez sous nos balles :
Chair à fusils !
Pour que chaque chien sur vos trognes
Pisse, à l'écart,
Nous les laisserons vos charognes :
Chair à Macquart !

Louise Michel (1888)


Louise, c'est l'impersonnelle
Image du renoncement.
Le «moi» n'existe plus en elle ;
Son être est tout au dévouement.
Pour ce cœur vaste et secourable,
Ivre de solidarité,
Le seul air qui soit respirable,
C'est l'amour de l'Humanité.

On la condamne: elle défie
Son juge, féroce et pourri.
Qu'importe, à qui se sacrifie
Le poteau noir de Satory?
A ses bourreaux, près de la tombe,
Elle parle fraternité.
Que lui fait la mort ? Elle tombe,
Pour l'amour de l'Humanité.

On la déporte: Elle ne souffre
Que pour ceux, près d'elle blottis :
Combien doit pleurer, dans ce gouffre,

Le père, éloigné des petits !
Captive auguste, elle ne pense,
Qu'aux frères en captivité.
Leurs blessures, elle les panse,
Pour l'amour de l'Humanité.


On l'amnistie : elle se lève
Et revient, le front calme et doux.
Grave et lente, sa voix s'élève
Et son cœur parle parmi nous.
De son repos faisant litière,
Bravant le pouvoir irrité,
Elle se donne tout entière,
Pour l'amour de l'Humanité.

La chanson est dédiée à Louise Michel, qui reste jusqu’à la fin de sa vie une infatigable militante socialiste (et féministe, quoiqu’elle s’en défende).

Elle raconte quelques épisodes de sa vie. Louise Michel est élevée dans le culte des martyrs par une mère très pieuse, servante au château, mais a accès à la culture, car élevée par son châtelain de grand-père. Elle est une bâtarde et n’hérite de rien.

Elle travaille comme institutrice, ouvre des écoles pour les enfants de pauvres et fréquente les cercles socialistes.

Elle prend une part active aux combats de la commune puis défie le tribunal militaire lors de son procès. Elle devient la Louve avide de sang pour les uns et la Vierge Rouge pour les autres.

Lors de sa déportation, elle est l’une des rares communardes à prendre le parti des Canaques. Lorsque le gouvernement amnistie les femmes en 1878, elle refuse de rentrer tant que les hommes ne seraient pas graciés eux-aussi.

A son retour du bagne en 1880, des milliers de Parisiens et Parisiennes l’attendent sur le quai de la gare. Elle écrit différentes sortes de textes et fait des conférences partout en France. Son activisme lui vaut plusieurs séjours en prison. On l’enferme avec les pires criminelles, mais elle retourne les détenues contre les autorités qui finissent par enfermer la révolutionnaire à l’isolement, elle casse tout dans sa cellule.

En 1888, au cours d’une conférence, la « petite sœur des pauvres » reçoit une balle dans la tête (Aubertin est un fou qui a tiré sur Jules Ferry, alors ministre). Elle fera tout ce qu’elle pourra pour faire libérer son agresseur et lui pardonnera. Reconnaissant, ce dernier déclarera sur son lit de mort : « surtout, que les anarchistes veillent sur ma fille ».

Elle mourra en 1905 et plus de 100.000 personnes assisteront à l'enterrement. de la Vierge Rouge. Haïe et conspuée par les conservateurs avant d’être récupérée par la gauche bourgeoise, elle reste dans les mémoires comme « la révolutionnaire impeccable ».

Pour des raisons de remise en cause globale des conventions sociales, de nombreuses féministes de l’époque étaient anarchistes. L’on songe particulièrement aux Américaines Voltairine de Clayre, Emma Goldman et Lucy Parson, cette dernière publiant également des articles dans la presse libertaire française.


On l'emprisonne : Comme au bagne,
Elle règne par la douceur,
La proxénète est sa compagne ;
La prostituée est sa sœur ;
De la voleuse elle est complice ;
Aux froides sœurs de charité
Elle parle de la Justice,
Pour l'amour de l'Humanité.

Une brute, sur elle tire
(Bien mieux qu'Aubertin sur Ferry)
Mais, loin de poser au martyre,
Elle s'arrête, puis sourit:
«C'est à moi ! Qu'on me l'abandonne ! »

Dit-elle, «qu'il soit acquitté !
Il s'est trompé ; je lui pardonne,
Pour l'amour de l'Humanité.»

Plus d'un la traite, en vrai Jocrisse,
D'«hystérique», journellement.
Crétins ! folle de sacrifice !
Hystérique de dévouement !
Écrivains aux longues-oreilles,
Jadis, Plutarque eût souhaité
Beaucoup d'héroïnes pareilles,
Pour l'honneur de l'Humanité !

La Révolte (1886)


Nous sommes les persécutés
De tous les temps et de toutes les races
Toujours nous fumes exploités
Par les tyrans et les rapaces
Mais nous ne voulons plus fléchir
Sous le joug qui courba nos pères
Car nous voulons nous affranchir
De ceux qui causent nos misères

Refrain
Église, Parlement,
Capitalisme, État, Magistrature
Patrons et Gouvernants,
Libérons-nous de cette pourriture
Pressant est notre appel,
Donnons l'assaut au monde autoritaire
Et d'un cœur fraternel
Nous réaliserons l'idéal libertaire

Ouvrier ou bien paysan
Travailleur de la terre ou de l'usine
Nous sommes dès nos jeunes ans
Réduits aux labeurs qui nous minent
D'un bout du monde à l'autre bout
C'est nous qui créons l'abondance
C'est nous tous qui produisons tout
Et nous vivons dans l'indigence

La chanson condense l’ensemble des reproches faits au système par les internationalistes : collusion entre les pouvoirs religieux, politiques, juridiques et économiques pour exploiter le peuple et maintenir par tous les moyens l’ordre établi, à savoir des inégalités criantes en termes de liberté et d’égalité. La mitrailleuse, qui fusille femmes et enfants fait référence à la semaine sanglante qui a eu lieu sept ans auparavant. Sébastien Faure consacre deux couplets à la répression, le dernier à la guerre, à laquelle le peuple est sensé aller se faire tuer pour le compte des puissants.

L'État nous écrase d'impôts
Il faut payer ses juges, sa flicaille
Et si nous protestons trop haut
Au nom de l'ordre on nous mitraille
Les maîtres ont changé cent fois
C'est le jeu de la politique
Quels que soient ceux qui font les lois
C'est bien toujours la même clique

L'engrenage encor va nous tordre :
Le capital est triomphant ;
La mitrailleuse fait de l'ordre
En hachant la femme et l'enfant.
L'Usure folle en ses colères
Sur nos cadavres calcinés
Soude à la grève des Salaires
La grève des assassinés.

Pour défendre les intérêts
Des flibustiers de la grande industrie
On nous ordonne d'être prêts
À mourir pour notre patrie
Nous ne possédons rien de rien
Nous avons horreur de la guerre
Voleurs, défendez votre bien
Ce n'est pas à nous de le faire

Version punk

Dans la grand’ville de Paris
Dans la grand’ville de Paris
Il y a des bourgeois bien nourris
Il y a des bourgeois bien nourris
Il y a les miséreux
Qui ont le ventre creux :
Ceux-là ont les dents longues,
Vive le son, vive le son,
Ceux-là ont les dents longues,
Vive le son
D’l’explosion !

Refrain

Dansons la Ravachole,
Vive le son, vive le son,
Dansons la Ravachole,
Vive le son
D’l’explosion !
(Ah, ça ira, ça ira, ça ira,
Tous les bourgeois goût’ront d’la bombe,
Ah ! ça ira, ça ira, ça ira,
Tous les bourgeois on les saut’ra...
On les saut’ra !)

Il y a les magistrats vendus,
Il y a les magistrats vendus,
Il y a les financiers ventrus,
Il y a les financiers ventrus,
il y a les argousins.
Mais pour tous ces coquins
Il y a d’la dynamite,
Vive le son, vive le son,
Il y a d’la dynamite,
Vive le son
D’l’explosion !

Refrain




La Ravachole (1892)


Il y a les sénateurs gâteux,
Il y a les sénateurs gâteux,
Il y a les députés véreux,
Il y a les députés véreux,
Il y a les généraux,
Assassins et bourreaux,
Bouchers en uniforme,
Vive le son, vive le son,
Bouchers en uniforme,
Vive le son
D’l’explosion !

Refrain

Il y a les hôtels des richards,
Il y a les hôtels des richards,
Tandis que les pauvres déchards,
Tandis que les pauvres déchards,
À demi morts de froid
Et soufflant dans leurs doigts,
Refilent la comète,
Vive le son, vive le son,
Refilent la comète,
Vive le son
D’l’explosion !

Refrain

Ah, nom de dieu, faut en finir !
Ah, nom de dieu, faut en finir !
Assez longtemps geindre et souffrir !
Assez longtemps geindre et souffrir !
Pas de guerre à moitié !
Plus de lâche pitié !
Mort à la bourgeoisie,
Vive le son, vive le son,
Mort à la bourgeoisie,
Vive le son
D’l’explosion !

Refiler la comète c'est dormir à la belle étoile. Les argousins sont les policiers (le terme est péjoratif)

La chanson est une reprise de la Carmagnole, chant de la révolution française connu pour la violence de ses paroles. Les ennemis du peuple ont changé. La lutte doit se poursuivre, non plus contre la noblesse, mais contre la bourgeoisie.

Les reproches fait aux représentants des différentes institutions bourgeoises sont on ne peut plus communs dans les chansons révolutionnaires. Seul le clergé échappe au tir nourri. La violence est revendiquée et justifiée par les injustices contre lesquelles il est impossible de lutter autrement, puisque la loi, la justice, la police et l'armée servent les intérêts bourgeois, comme l'expérience de la Commune l'a montré ; l'atrocité de la répression bourgeoise justifie la violence révolutionnaire, en tout cas aux yeux de Faure.

Ravachol est un criminel de droit commun qui décide de donner un sens à sa vie et de poser des bombes au nom de l'idéal libertaire, participant à ce que Louise Michel et Errico Malatesta nomment la propagande par le fait : agir de façon spectaculaire et utiliser le procès qui s'ensuit, pour promouvoir la cause révolutionnaire. Il est condamné à mort en 1992 pour un crime ancien, mais son comportement au procès en fait un martyr dans l'opinion publique et un exemple à suivre.

Ravachol lors de son procès

Quand nous en serons au temps d'anarchie,

Les humains joyeux auront un gros coeur

Et légère panse.

Heureux on saura - sainte récompense -

Dans l'amour d'autrui doubler son bonheur ;

Quand nous en serons au temps d'anarchie,

Les humains joyeux auront un gros coeur.

Quand nous en serons au temps d'anarchie,

On ne verra plus d'êtres ayant faim

Auprès d'autres ivres :

Sobres nous serons et riches en vivres ;

Des maux engendrés ce sera la fin.

Quand nous en serons au temps d'anarchie,

Tous satisferont sainement leur faim.

Quand nous en serons au temps d'anarchie,

Le travail sera récréation

Au lieu d'être peine.

Le corps sera libre et l'âme sereine

En paix fera son évolution.

Quand nous en serons au temps d'anarchie,

Le travail sera récréation.

Quand nous en serons au temps d'anarchie,

Nos petits enfants auront au berceau

Les baisers des mères ;

Tous seront choyés, tous égaux, tous frères ;

Ainsi grandira ce monde nouveau.

Quand nous en serons au temps d'anarchie,

Nos enfants auront un même berceau.


Paillette, décrit un monde idéal rempli d’amour, que nous pouvons à peine nous imaginer et qui n’adviendra sans doute pas de sitôt, mais qui reste à construire et dont l'avènement ne saurait manquer d'arriver. La thématique écologique, critique du productivisme fait l’objet d’un couplet. Il s’agit d’un thème rarement abordé à l’époque.

Le fait de reprendre l’air du temps des cerises rend très claire la référence à la Commune et donc à la prise en main de leur destin par les travailleurs, ce qui permettra d’établir le monde rêvé. Pour de nombreux anarchistes de l’époque, l’expérience de la commune avait prouvé que le peuple était capable de s’organiser seul, il suffirait de le décider pour que la société sans classe devienne une réalité. La chanson vise donc à promouvoir cet idéal.


Heureux temps (1895)

Quand nous en serons au temps d'anarchie,

Les vieillards aimés, poètes-pasteurs,

Bénissant la terre,

S'éteindront béats sous le Ciel-Mystère,

Ayant bien vécu loin de ses hauteurs.

Quand nous en serons au temps d'anarchie,

Les vieillards seront de bien doux pasteurs.

Quand nous en serons au temps d'anarchie,

Nature sera paradis d'amour.

Femme souveraine !

Esclave aujourd'hui, demain notre reine,

Nous rechercherons tes "ordres du jour".

Quand nous en serons au temps d'anarchie,

Nature sera paradis d'amour.

Il semble encor loin ce temps d'anarchie,

Mais, si loin soit-il, nous le pressentons.

Une foi profonde

Nous fait entrevoir ce bienheureux monde

Qu'hélas notre esprit dessine à tâtons.

Il semble encor loin ce temps d'anarchie,

Mais, si loin soit-il, nous le pressentons.

J'ai des pavés et de la poudre,

De la dynamite à foison

Qui rivalisent avec la foudre

Pour débarbouiller l'horizon.

Le gaz est aussi de la fête,

Si l'on résiste à mes joyaux,

Au beau milieu de la tempête

Je fais éclater ses boyaux.

J'ai poudre verte et mélinite,

De fameux produits, mes enfants,

Pour nous débarrasser plus vite

De ces mangeurs de pauvres gens.

J'ai pour les gavés de la table

La bombe glacée à servir

Du haut d'un ballon dirigeable

Par les toits, pour les rafraîchir.

Voleuse et traître bourgeoisie,

Prêtres et bandits couronnés,

Il faut que d'Europe en Asie

Vous soyez tous assaisonnés

Je suis le vieux père Lapurge

Pharmacien de l'humanité ;

Contre sa bile je m'insurge

Avec ma fille Égalité


Refrain

J'ai ce qu'il faut dans ma boutique

Sans le tonnerre et les éclairs

Pour bien purger toute la clique

Des affameurs de l'univers

Son mal vient des capitalistes

Plus ou moins gras, à la ronger.

En avant les gars anarchistes,

Fils de Marat, faut la purger.

J'ai du pétrole et de l'essence

Pour badigeonner les châteaux ;

Des torches pour la circonstance

A mettre en guise de flambeaux.

J'ai du picrate de potasse,

Du soufre et du chlore en tonneaux

Pour assainir partout où passent

Les empoisonneurs de cerveaux.

La Purge (1896)

On remarque une référence à la révolution française. Il fallait oser pour publier cette chanson deux ans après la promulgation des lois scélérates.

Deux ans avant la parution de la chanson, Constant Marie arrêté en 1894 en application de ces lois scélérates pour une supposée participation à un attentat à la bombe, déclare au juge d’instruction : « Je suis anarchiste en ce sens que je voudrais une organisation sociale qui fasse à chacun sa place au soleil, qui donne à chacun sa part au banquet de la vie, chacun produisant selon ses moyens et recevant suivant ses besoins. Un état social dans lequel les uns ne meurent pas de faim et les autres d’indigestion. Je lis plutôt des livres de poésie que des livres de chimie. Je fais de la propagande des idées que je viens d’exposer, mais uniquement par les arguments et la persuasion ; personne ne pourra dire que j’ai conseillé la violence ».

Dans la déclaration ci-dessus on peut relever que chacun produit selon ses moyens et reçoit selon ses besoins. Il reprend là les idées communistes libertaires de Kropotkine, Bakounine ayant proposé que chacun reçoive en fonction de ce qu’il produit.

L’Internationale noire (1897)


Debout les damnés de la terre !

Les despotes épouvantés

Sentant sous leurs pas un cratère,

Au passé se sont acculés.

Leur ligue folle et meurtrière

Voudrait à l'horizon vermeil

Éteindre l'ardente lumière

Que verse le nouveau soleil,


Refrain

Debout, debout, les damnés de la terre !

Ceux qu'on écrase en les charniers humains,

Debout, debout, les forçats de misère !

Unissons-nous, Latins, Slaves, Germains.


Que la troisième République

Se prostitue au tsar pendeur ;

Qu'une foule extra-lunatique

Adore l'exterminateur !

Puisqu'il faut que tout disparaisse,

Peu nous importe ! C'est la fin,

Partout les peuples en détresse

S'éveillent se donnant la main,

Le qualificatif de Noire, désigne-t-il l'internationale anarchiste ? Il semble que les libertaires aient conservé longtemps le drapeau rouge, mais certaines illustrations de l'époque en montrent. L'internationale noire désigne au départ l'internationale catholique réactionnaire, puis les fascistes. Le tsar pendeur est Alexandre III, connu pour son autoritarisme et le manque de liberté politique dans son pays qui entraîne de nombreuses révoltes . En 1887 des révolutionnaires socialistes sont pendus pour avoir fomenté une tentative d’assassinat à son encontre.

C’est avec ce régime, le plus autocratique d’Europe, qu’en 1892 la république française signe un traité d’alliance. L'idée est de prendre l'Allemagne et l'Autriche Hongrie à revers. Il s'agit d'une circonstance aggravante aux yeux de Louise Michel, puisqu'il s'agit de préparer une guerre. La première guerre mondiale est vendue au peuple français comme une guerre entre les démocraties libérales et les empires réactionnaires. Or l'Empire Russe est le pays le plus réactionnaire d'Europe. Il y a là une contradiction.

En réalité, il s'agit avant tout pour les gouvernants de "cimenter les frontières" dans le sang des peuples. On fait la guerre pour des motifs de politique intérieure.

L’autrice s’adresse ensuite violemment aux bourgeois, lâches et cupides, qui font appel à des tyrans pour protéger leur fortune et au peuple pour aller se faire tuer.

Le refrain en appelle à l’union des peuples de toute l’Europe pour éviter les massacres à venir et mettre fin aux frontières nationales.

Bons bourgeois que César vous garde,

César aux grands ou petits bras :

Pape, République bâtarde ;

Les tocsins sonnent votre glas

Rois de l'or hideux et féroces.

Les fiancés que vous tuez

Demain auront de rouges noces.

Tocsins, tocsins, sonnez, sonnez.

Les potentats veulent la guerre

Afin d'égorger leurs troupeaux :

Pour cimenter chaque frontière

Comme on consacrait les tombeaux.

Mais il vient le temps d'Anarchie

Où, dans l'immense apaisement,

Loups de France et de Sibérie,

Loups humains jeûneront de sang.

Le triomphe de l’anarchie (1901)



Tu veux bâtir des cités idéales,
Détruis d’abord les monstruosités.
Gouvernements, casernes, cathédrales,
Qui sont pour nous autant d’absurdités.
Dès aujourd'hui, vivons le communisme
Ne nous groupons que par affinités
Notre bonheur naîtra de l’altruisme
Que nos désirs soient des réalités

Refrain :
Debout, debout, compagnons de misère
L’heure est venue, il faut nous révolter
Que le sang coule, et rougisse la terre
Mais que ce soit pour notre liberté
C’est reculer que d’être stationnaire
On le devient de trop philosopher
Debout, debout, vieux révolutionnaire
Et l’anarchie enfin va triompher


Empare-toi maintenant de l’usine
Du capital, ne sois plus serviteur
Reprends l'outil, et reprends la machine
Tout est à tous, rien n’est à l’exploiteur
Sans préjugé, suis les lois de nature
Et ne produis que par nécessité
Travail facile, ou besogne très dure
N’ont de valeur qu’en leur utilité

On rêve amour par delà les frontières

On rêve amour aussi de ton côté
On rêve amour dans les nations entières
L’erreur fait place à la réalité
Oui, la patrie est une baliverne
Un sentiment doublé de lâcheté
Ne deviens pas de la viande à caserne
Jeune conscrit, mieux te vaut déserter

Charles d'Avray a 23 ans lorsqu'il écrit de texte. Il n'a pas connu la Commune et s'adresse à la génération précédente, les "vieux révolutionnaires", dont il souhaite ranimer la flamme. La chanson ne se contente pas d'évoquer monde idéal dans lequel les hommes sont libres et égaux. Elle énumère les maux à abattre : religion, politique, armée. La chanson évoque aussi les moyens d’y parvenir : lutte violente et discussion, conviction et tolérance. Pour les théoriciens anarchistes, la violence est un mal qui sera peut-être nécessaire : pour Bakounine et Malatesta, "quelques morts seront sans doute inévitables", pour Charles d'Avray, la violence doit rester une option, en cas de besoin. En revanche, il prône la désobéissance immédiate.

Il est fait appel à la science, à l’éducation, l’engagement, la raison, et la force. La croyance au progrès était très forte cette époque. Les avancées scientifiques ne peuvent manquer d’entraîner l’avènement de la société idéale, guidée par la raison et non basée sur des instincts violents et des comportements prédateurs. Plusieurs grandes figures anarchistes de l'époque sont des scientifiques reconnus, biologistes, mathématiciens, géographes (Kropotkine, Elie et Elysée Reclus...).



Tous tes élus fous-les à la potence
Lorsque l’on souffre on doit savoir châtier
Leurs électeurs fouaille-les d’importance
Envers aucun il ne faut de pitié
Eloigne-toi de toute politique
Dans une loi ne vois qu’un châtiment
Car ton bonheur n’est pas problématique
Pour vivre heureux Homme vis librement

Quand ta pensée invoque ta confiance
Avec la science il faut te concilier
C’est le savoir qui forge la conscience
L’être ignorant est un irrégulier
Si l’énergie indique un caractère
La discussion en dit la qualité
Entends réponds mais ne sois pas sectaire
Ton avenir est dans la vérité

Place pour tous au banquet de la vie
Notre appétit seul peut se limiter
Que pour chacun, la table soit servie
Le ventre plein, l’homme peut discuter
Que la nitro, comme la dynamite
Soient là pendant qu’on discute raison
S’il est besoin, renversons la marmite
Et de nos maux, hâtons la guérison

Une version punk

Paysans dont la simple histoire
Chante en nos cœurs et nos cerveaux,
L'exquise douceur de la Loire,
Et la bonté des vins nouveaux. (x2)

Allons-nous, esclaves placides,
Dans un sillon où le sang luit,
Rester à piétiner au bruit
Des Marseillaises fratricides ?

Refrain

En route ! Allons les gars ! Jetons nos vieux sabots,
Marchons,
Marchons,
En des sillons plus larges et plus beaux !

A la clarté des soirs sans voiles,
Regardons en face les cieux ;
Cimetière fleuri d'étoiles,
Où nous enterrerons les dieux. (x2)

Car il faudra qu'on les enterre,
Ces dieux féroces et maudits,
Qui, sous espoir de Paradis,
Firent de l'enfer sur la "Terre" !

Refrain

Ne déversons plus l'anathème,
En gestes grotesques et fous,
Sur tous ceux qui disent : " Je t'aime ",
Dans un autre patois que nous (x2)

Et méprisons la gloire immonde,
Des héros couverts de lauriers :
Ces assassins, ces flibustiers,
Qui terrorisèrent le monde !

Refrain

La chanson détournant la Marseillaise met en scène un anarchisme rural, resté marginal en France contrairement à d’autres pays comme l’Espagne ou l’Italie, dont l’organisation des campagnes était plus communautaire. La chanson est résolument pacifiste, ce qui est logique dans une période de montée des tensions internationales. La course aux armements fait rage en Europe. Les Internationalistes sont les seuls à s’opposer à la guerre qui se prépare ; on se souvient des discours de Jean Jaures, le grand leader communiste de l’époque. La chanson dénonce la religion. Là aussi, il s’agit d’un sujet d’actualité puisque la question de la laïcité fait l’objet de débats enflammés au tout début du vingtième siècle. Le couplet sur l’amour libre est lui-aussi significatif ; les anarchistes contestent de plus en plus le mariage. Pour Voltairine de Clayre, il s’agit d’une institution économique faite pour asservir les femmes. Le thème prend de l’importance avec la montée de l’anarchisme individualiste. La chanson en appelle à la fraternité universelle et à la tolérance.


La chanson a été chantée à Saint Nazaire lors des manifestations contre la réforme des retraites en 2023.

La Paysanne ou la Marseillaise des paysans année ?

Plus de morales hypocrites,
Dont les barrières, chaque jour,
Dans le sentier des marguerites,
Arrêtent les pas de l'amour ! (x2)

Et que la fille-mère quitte,
Ce maintien de honte et de deuil,
Pour étaler avec orgueil,
Son ventre où l'avenir palpite !

Refrain

Semons nos blés, soignons nos souches !
Que l'or nourricier du soleil,
Emplisse pour toutes nos bouches,
L'épi blond, le raisin vermeil ! (x2)

Et seule guerre nécessaire,
Faisons la guerre au Capital,
Puisque son Or : soleil du mal !
Ne fait germer que la misère...

Les textes du spectacle

Les pavés

Refrain
Ce sont des amis éprouvés,
Crions tous : "Vivent les pavés !" (x2)

Loin d'être dans les rétrogrades
Les pavés font distinction
C'est pour parer les barricades
Et c'est dans l'opposition

A leur fermeté, rendons grâce,
Ce sont eux qui nous ont sauvés :
Tous, contre une odieuse race,
Avec nous ils se sont levés.

Leur éloquence est de nature
A faire de l'impression,
Nos mouchards ont la tête dure,
Mais ils ont senti la raison.

Chacun saisit son interprète
Leurs solides raisonnements ;
On ne peut que baisser la tête
Devant de pareils arguments.

Et pourtant, l'odieuse foule
Les traite avec indignité,
Et chaque jour aux pieds on foule
Ces sauveurs de la liberté.

Et par eux, au loin affermie,
Liberté, tu ne laisseras
De refuge à la tyrannie
Qu'aux lieux où l'on ne pave pas.

La canaille 

Dans la vieille cité française
Existe une race de fer,
Dont l’âme comme une fournaise
A de son feu bronzé la chair.
Tous ses fils naissent sur la paille,
Pour palais, ils n’ont qu’un taudis.
C’est la canaille !
Eh bien ! j’en suis !

Ce n’est pas le pilier du bagne ;
C’est l’honnête homme dont la main
Par la plume ou le marteau gagne,
En suant, son morceau de pain.
C’est le père, enfin, qui travaille
Les jours et quelquefois les nuits.
C’est la canaille ! etc.

C’est l’artiste, c’est le bohème
Qui, sans souper, rime rêveur
Un sonnet à celle qu’il aime,
Trompant l’estomac par le cœur.
C’est à crédit qu’il fait ripaille,
Qu’il loge et qu’il a des habits.
C’est la canaille ! etc.

C’est l’homme à la face terreuse,
Au corps maigre, à l’œil de hibou,
Au bras de fer à main nerveuse
Qui sortant d’on ne sait pas où,
Toujours avec esprit vous raille,
Se riant de votre mépris.
C’est la canaille ! Etc.

C’est l’enfant que la destinée
Force à rejeter ses haillons,
Quand sonne sa vingtième année,
Pour entrer dans nos bataillons.
Chair à canon de la bataille,
Toujours il succombe sans cris…
C’est la canaille ! etc.

Ils fredonnaient la Marseillaise,
Nos pères, les vieux vagabonds,
Attaquant en quatre-vingt-treize
Les bastilles dont les canons
Défendaient la vieille muraille !
Que de trembleurs ont dit depuis :
- « C’est la canaille ! » etc.

Les uns travaillent par la plume,
Le front dégarni de cheveux.
Les autres martèlent l’enclume,
Et se soûlent pour être heureux ;
Car la misère, en sa tenaille,
Fait saigner leurs flancs amaigris…
C’est la canaille ! etc.

Enfin, c’est une armée immense,
Vêtue en haillons, en sabots.
Mais qu’aujourd’hui la vieille France
Les appelle sous ses drapeaux,
On les verra dans la mitraille,
Ils feront dire aux ennemis :
C’est la canaille !
Eh bien ! j’en suis !

Bonhomme

Bonhomme, ne sens-tu pas
Qu’il est temps que tu te réveilles,
Bonhomme, ne sens-tu pas
Qu’il est temps que tu te réveilles ?
Voilà vingt ans que tu sommeilles,
Voilà vingt ans qu’à tes oreilles
La Liberté pleure et gémit.
Bonhomme,
Bonhomme,
Lève-toi, le jour luit.

Refrain
Et vive la Commune bon dieu

et vive la commune (bis)

Bonhomme, n’entends-tu pas
Le bourgeois railler ta misère !
Bonhomme, n’entends-tu pas
Le voisin railler ta misère!
Il dit que ton sang dégénère,
Ton âme, autrefois si fière,
S’affaisse aujourd’hui dans la peur!
Bonhomme,
Bonhomme,
Qu’as-tu fait de ton cœur ?

Bonhomme, ne sens-tu pas
Qu’à tes bras on a mis des chaînes !
Bonhomme, ne sens-tu pas
Qu’à tes bras on a mis des chaînes !
Jadis de tes mains souveraines,
De tes épaules plébéiennes,
Tu jetas la Bastille en bas!
Bonhomme,
Bonhomme,
Qu’as—tu fait de tes bras ?

Bonhomme, n’entends-tu pas
Un refrain de chanson française,
Bonhomme, n’entends-tu pas
Un refrain de chanson française,
Ce refrain c'est la Marseillaise,
Celui qui fit quatre-vingt-treize!
A ce chant-là laisse l’outil.
Bonhomme,
Bonhomme,
Va chercher ton fusil!.

La danse des bombes

Oui barbare je suis
Oui j'aime le canon
La mitraille dans l'air
Amis, amis, dansons.

La danse des bombes
Garde à vous ! Voici les lions !
Le tonnerre de la bataille gronde sur nous
Amis chantons, amis dansons
La danse des bombes
Garde à vous ! Voici les lions !
Le tonnerre de la bataille gronde sur nous
Amis chantons !

L'acre odeur de la poudre
qui se mêle à l'encens.
Ma voix frappant la voûte
et l'orgue qui perd ses temps.

La nuit est écarlate.
Trempez-y vos drapeaux
Aux enfants de Montmartre,
la victoire ou le tombeau !
Aux enfants de Montmartre,
la victoire ou le tombeau !

Oui barbare je suis,
Oui j'aime le canon,
Oui, mon cœur je le jette
à la révolution !

La semaine sanglante

Sauf des mouchards et des gendarmes,
On ne voit plus par les chemins,
Que des vieillards tristes en larmes,
Des veuves et des orphelins.
Paris suinte la misère,
Les heureux mêmes sont tremblant.
La mode est aux conseils de guerre,
Et les pavés sont tous sanglants.


Refrain :
Oui mais!
Ça branle dans le manche,
Les mauvais jours finiront.
Et gare! à la revanche,
Quand tous les pauvres s'y mettront.
Quand tous les pauvres s'y mettront.



On traque, on enchaîne, on fusille
Tout ceux qu'on ramasse au hasard.

La mère à côté de sa fille,
L'enfant dans les bras du vieillard.
Les châtiments du drapeau rouge
Sont remplacés par la terreur
De tous les chenapans de bouges,
Valets de rois et d'empereurs.

Nous voilà rendus aux jésuites
Aux Mac-Mahon, aux Dupanloup.
Il va pleuvoir des eaux bénites,
Les troncs vont faire un argent fou.

Dès demain, en réjouissance
Et Saint Eustache et l'Opéra
Vont se refaire concurrence,
Et le bagne se peuplera.


Demain les gens de la police
Refleuriront sur le trottoir,
Fiers de leurs états de service,
Et le pistolet en sautoir.
Sans pain, sans travail et sans armes,
Nous allons être gouvernés
Par des mouchards et des gendarmes,
Des sabre-peuple et des curés.


Le peuple au collier de misère
Sera-t-il donc toujours rivé?
Jusque à quand les gens de guerre
Tiendront-ils le haut du pavé ?
Jusques à quand la Sainte Clique
Nous croira-t-elle un vil bétail ?
À quand enfin la République
De la Justice et du Travail.

L’Internationale

Debout, les damnés de la terre
Debout, les forçats de la faim
La raison tonne en son cratère,
C'est l'éruption de la faim.
Du passé faisons table rase,
Foule esclave, debout, debout
Le monde va changer de base,
Nous ne sommes rien, soyons tout.

Refrain (répété deux fois)
C'est la lutte finale ;
Groupons nous et demain
L'Internationale
Sera le genre humain.

Il n'est pas de sauveur suprême
Ni Dieu, ni César, ni Tribun,
Producteurs, sauvons-nous nous-mêmes
Décrétons le salut commun.
Pour que le voleur rende gorge,
Pour tirer l'esprit du cachot,
Soufflons nous-mêmes notre forge,
Battons le fer tant qu'il est chaud.

L'État opprime et la Loi triche,
L'impôt saigne le malheureux ;
Nul devoir ne s'impose au riche ;
Le droit du pauvre est un mot creux
C'est assez languir en tutelle,
L'Égalité veut d'autres lois ;
"Pas de droits sans devoirs, dit-elle
Égaux pas de devoirs sans droits."

L e drapeau rouge

Les révoltés du Moyen-Âge
L’ont arboré sur maints beffrois.
Emblème éclatant du courage,
Toujours il fit pâlir les rois.

Refrain
Le voilà !, Le voilà ! Regardez !
Il flotte et fièrement il bouge,
Ses longs plis au combat préparés,
Osez, osez le défier !
Notre superbe drapeau rouge !
Rouge du sang de l’ouvrier ! (bis)

Il apparut dans le désordre
Parmi les cadavres épars,
Contre nous, le parti de l'Ordre
Le brandissait au Champ de Mars

Sous la Commune il flotte encore
À la tête des bataillons
Et chaque barricade arbore
Ses longs plis taillés en haillons !

Noble étendard du prolétaire,
Des opprimés sois l’éclaireur.
À tous les peuples de la terre
Porte la paix et le bonheur !

Jean Misère 

Refrain :

Ah ! mais…
Ça ne finira donc jamais ?…


Pas un astre et pas un ami !
La place est déserte et perdue.
S’il faisait sec, j’aurais dormi,
Il pleut de la neige fondue.
Ah ! mais…
Ça ne finira donc jamais ?…

Est-ce la fin, mon vieux pavé ?
Tu vois : ni gîte, ni pitance,
Ah ! la poche au fiel a crevé ;
Je voudrais vomir l’existence.
Ah ! mais…
Ça ne finira donc jamais ?…


Je fus bon ouvrier tailleur.
Vieux, que suis-je ? une loque immonde.
C’est l’histoire du travailleur,
Depuis que notre monde est monde.
Ah ! mais…
Ça ne finira donc jamais ?…

Maigre salaire et nul repos,
Il faut qu’on s’y fasse ou qu’on crève,
Bonnets carrés et chassepots
Ne se mettent jamais en grève.
Ah ! mais…
Ça ne finira donc jamais ?…

Malheur ! ils nous font la leçon,
Ils prêchent l’ordre et la famille ;
Leur guerre a tué mon garçon,
Leur luxe a débauché ma fille !
Ah ! mais…
Ça ne finira donc jamais ?

De ces détrousseurs inhumains,
L’Église bénit les sacoches ;
Et leur bon Dieu nous tient les mains
Pendant qu’on fouille dans nos poches.
Ah ! mais…
Ça ne finira donc jamais ?…

Un jour, le Ciel s’est éclairé,
Le soleil a lui dans mon bouge ;
J’ai pris l’arme d’un fédéré
Et j’ai suivi le drapeau rouge.
Ah ! Mais… Ça ne finira donc jamais ?…

Mais, par mille on nous coucha bas ;
C’était sinistre au clair de lune ;
Quand on m’a retiré du tas,
J’ai crié : Vive la Commune !
Ah ! mais…
Ça ne finira donc jamais ?…

Adieu, martyrs de Satory,
Adieu, nos châteaux en Espagne !
Ah ! mourons !… ce monde est pourri ;
On en sort comme on sort d’un bagne.
Ah ! mais…
Ça ne finira donc jamais ?…

À la morgue on coucha son corps,
Et tous les jours, dalles de pierre,
Vous étalez de nouveaux morts :
Les Otages de la misère !
Ah ! mais…
Ça ne finira donc jamais ?….

La Ravachole

Dans la grand’ville de Paris
Dans la grand’ville de Paris
Il y a des bourgeois bien nourris
Il y a des bourgeois bien nourris
Il y a les miséreux
Qui ont le ventre creux :
Ceux-là ont les dents longues,
Vive le son, vive le son,
Ceux-là ont les dents longues,
Vive le son
D’l’explosion !

Refrain

Dansons la Ravachole,
Vive le son, vive le son,
Dansons la Ravachole,
Vive le son
D’l’explosion !


Il y a les sénateurs gâteux,
Il y a les sénateurs gâteux,
Il y a les députés véreux,
Il y a les députés véreux,
Il y a les généraux,
Assassins et bourreaux,
Bouchers en uniforme,
Vive le son, vive le son,
Bouchers en uniforme,
Vive le son
D’l’explosion !

Il y a les magistrats vendus,
Il y a les magistrats vendus,
Il y a les financiers ventrus,
Il y a les financiers ventrus,
il y a les argousins.
Mais pour tous ces coquins
Il y a d’la dynamite,
Vive le son, vive le son,
Il y a d’la dynamite,
Vive le son
D’l’explosion !


Ah, nom de dieu, faut en finir !
Ah, nom de dieu, faut en finir !
Assez longtemps geindre et souffrir !
Assez longtemps geindre et souffrir !
Pas de guerre à moitié !
Plus de lâche pitié !
Mort à la bourgeoisie,
Vive le son, vive le son,
Mort à la bourgeoisie,
Vive le son
D’l’explosion !

Le temps des cerises

Quand nous en serons au temps des cerises
Et gai rossignol et merle moqueur
Seront tous en fête
Les belles auront la folie en tête
Et les amoureux du soleil au coeur
Quand nous chanterons le temps des cerises
Sifflera bien mieux le merle moqueur

Mais il est bien court le temps des cerises
Où l'on s'en va deux cueillir en rêvant
Des pendants d'oreilles
Cerises d'amour aux robes pareilles
Tombant sous la feuille en gouttes de sang
Mais il est bien court le temps des cerises
Pendants de corail qu'on cueille en rêvant

Quand vous en serez au temps des cerises
Si vous avez peur des chagrins d'amour
Évitez les belles
Moi qui ne crains pas les peines cruelles
Je ne vivrai pas sans souffrir un jour
Quand vous en serez au temps des cerises
Vous aurez aussi des chagrins d'amour

J'aimerai toujours le temps des cerises
C'est de ce temps-là que je garde au coeur
Une plaie ouverte
Et Dame Fortune, en m'étant offerte
Ne saura jamais calmer ma douleur
J'aimerai toujours le temps des cerises
Et le souvenir que je garde au coeur.